LES REFLETS DE LA MACHINE-MIROIR

Pour utiliser la machine-miroir, on se rend dans le laboratoire de Pierre Fourny, on s’y plonge dans une calme pénombre, et on suit la règle du jeu, un peu comme chez un psychanalyste… On déverse sur une immense table le contenu de deux énormes valises noires : des milliers de petits objets et de matériaux hétéroclites accumulés par Pierre et dormant là en attendant d’être choisis par un éventuel manipulateur… Dans le bazar étalé sur la table, il faut choisir cinq objets, « sans réfléchir, dit Pierre, laisse tes mains choisir, tu as cinq minutes.» S’il était moins concret ou moins malin, peut-être lancerait-il abruptement un « laisse ton inconscient choisir »… De toute façon, il n’y a littéralement pas le choix : il y a trop d’objets et l’articulation d’un choix selon une pensée utilitaire tuerait toute possibilité d’action. Alors rapidement : choisir 5 objets parmi un millier (5 minutes) ; puis, dans son coin, expérimenter les possibilités des 5 objets (10 minutes) ; enfin, passer derrière la machine miroir et y créer une séquence (5 minutes) ou pour le dire autrement un petit spectacle pour un unique spectateur…

Dans le langage de Pierre, les possibilités des objets sont les actions que les objets eux-mêmes appellent, par leur forme, par leur nature, par leur matière, et les rapports possibles entre eux – et non le sens ou les rapports narratifs que le manipulateur déciderait de leur octroyer au préalable. Une séquence est donc le fruit de ces possibilités articulées dans l’espace (les miroirs utilisés par le manipulateur et les reflets vus du seul spectateur) et dans le temps (partagé par un manipulateur et un spectateur).
Mais au fond, le plus important, c’est qu’en maîtrisant l’espace et le temps, ce que la règle du jeu vise, c’est l’empêchement de la maîtrise du sens par la pensée consciente… En d’autres termes, on pourrait dire que l’objectif de la machine-miroir, c’est de bannir la psychologie de la scène !

Parce que la machine-miroir, c’est une scène, c’est un lieu d’où l’on voit et d’où ce que l’on fait est vu, et qui laisse apparaître comme au fond d’une boule de cristal, les images fugaces jaillies d’un inconscient au travail… Musset parlait de son « théâtre dans un fauteuil », Pierre Fourny pourrait parler de son « théâtre dans un divan »…

Nathalie Garraud

metteur en scène, compagnie Du Zieu